A Propos du Yemba

Qu’est-ce que le yemba?

Par Prince Nanfah Gaston Asa’a Mbooh Métap PhD

Sociolinguiste, Dialectologue

Introduction:

Toute dénomination fait toujours référence à un fait social et suscite parfois des interrogations aussi bien de la part des usagers que des observateurs avertis mus par un désir purement ontologique. Aussi vais-je dans cette chronique, essayer d’apporter quelques clarifications relatives à la genèse et à l’utilisation du médium de communication interactif entre les membres de la communauté de la Ménoua. Ce médium qui n’est autre que la langue Yémba représente plus que le reflet d’une expression culturelle des membres de cette communauté, elle est devenue presqu’une institution et un élément de la consolidation fraternelle entre les fils et les filles de la Ménoua.

II-1 Origine et signification du Yémba

Le nom Yémba a été proposé pour la première fois en 1983 au Département des Langues Africaines et de Linguistique de l’Université de Yaoundé par le professeur Maurice Tadadjeu et le pasteur Fabien Wamba.[1][1] En 1983, le projet de l’Atlas Linguistique du Cameroun était dans sa phase finale et les langues camerounaises faisant partie de l’inventaire devraient être identifiées objectivement par un nom qui ne souffrirait d’aucune contestation de la part des communautés linguistiques des langues concernées. Ainsi, à l’instar des autres langues bantoïdes de l’Ouest-Cameroun comme le ŋgyɛmbɔŋ, le ngəmba ou le ghɔmala’- ouest etc., (parlée respectivement dans les départements de Bamboutos et de Mifi), le nom Yémba fut proposé pour désigner la langue parlée majoritairement dans le département de la Ménoua. Comme il fallait s’y attendre, ce nom a fut adopté et apprécié par la quasi-totalité des membres de la communauté Ménoua, car elles trouvèrent en celui-ci un facteur unificateur. Dénué de toute coloration politique et partisane, Yémba signifie comme les deux autres langues citées plus haut «je dis que».

Il faut signaler qu’en 1972, Maurice Tadadjeu, étudiant en linguistique à l’Université de Bekerly aux États-Unis d’Amérique proposa le nom «lenaŋ» pour désigner l’actuelle langue Yémba. Dans son enthousiasme intellectuel, il publia la même année, le premier travail scientifique au titre retentissant sur l’étude de cette langue: «lenaŋ, documents pour l’étude du Bamiléké-Dschang». Les raisons qui expliqueraient le délaissement du nom «lenaŋ» au profit du Yémba s’expliqueraient par le fait que lenaŋ, qui signifie «façon de vivre» aurait une consonance beaucoup plus socio anthropologique que spécifiquement linguistique.

II-2 Dichotomie «a-tsaŋ/ n-tsaŋ» dans les débats politico-culturels :

Cette langue fut aussi connue sous l’appellation de «atsaŋ» et désignait en même temps la ville de Dschang; or l’adoption du terme «atsaŋ» pour dénommer aussi bien la langue que le chef-lieu du département de la Ménoua avait suscité et suscite encore de nos jours de nombreuses controverses. Certains fils du département trouvent en ce nom tout un symbole de mauvais augure, car se disent-ils, tout acte maléfique dont la ville serait victime trouverait son origine dans ladite dénomination. Le fait d’assimiler –tsaŋ ou «dschang» à la mésentente contribuerait par fatalité à la perpétuation de l’esprit de discorde qui se serait encré dans les comportements des populations de la Ménoua et les pousserait de façon instinctive à s’opposer toujours les uns aux autres (J. P. Fogui 1994). Selon le Jean Pierre Fogui, le défenseur de cette thèse, il serait d’une nécessité impérieuse de réconcilier les fils et filles de la Ménoua en changeant de façon irréversible le nom du chef lieu du département. «-tsaŋ» «Dschang» (ou mésentente, discorde) aurait été imposé par les allemands dans les années 1903. D’après lui, quand les allemands arrivèrent dans la Ménoua vers les années 1903, ils assistèrent pour la première fois à une dispute territoriale qui opposait le chef du groupement Foto, sa majesté Fo Temgoua et le chef Fo Leka’né de Foréké-dschang. Ce qui attira leur attention fut la récursivité de l’expression que prononçait sans cesse le chef Fo Temgoua de Foto: «efo Leka’né ŋgaŋ tsaŋ», C’est-à-dire «Chef Leka’né, fauteur de trouble». De cette expression, les Allemands ne retinrent que le mot «-tsaŋ». Quand vint le moment de trouver officiellement un nom pour désigner l’endroit où ils se trouvaient, ils proposèrent le nom «-atsaŋ» pour désigner d’abord l’endroit faisant l’objet de dispute et qui devint plus tard le nom officiel du chef lieu du département.[2][2]

À l’opposé de cette thèse, Maurice Tadadjeu et al. (1996: 9) font valoir leur point de vue en ces termes :

«Atsaŋ á nɛ ashuŋe Yémba jʉɔ´ mέt, ήgɔ´ á lé tswi ŋiŋ mɛnzhɛ mbɔŋ, á le ghʉ azō mé nda, ńtsaŋne tsaŋne, m΄biŋ ήghʉˉ á m´bɔŋɔ´. Wɔ mɛŋgāńjʉ’ epuɔ Yémba Atsaŋ, é le kwaŋtē tɛ’, té ήgy á lézēŋ cʉɔ´ mέt á m΄bu ala’ azɔ´p. Pɔ´ lɛ pá’ā ńdɔkɔ ŋkɔˉŋɔ´ ήgɛ, epuɔ ala’ pɔ´p e ēghʉ΄ ákɔ azɔ´p lέ á m´bɔŋɔ´, té gakne, m΄biŋ ŋgɔ´ éfʉ’ metsem, tsa‾ŋ épuɔménɔŋ ánɛˉ mɛnzhɛ mbɔŋ»

Dschang en langue Yémba voudrait dire: le guide, la persévérance, l’endurance. Les ancêtres des Yémba de Dschang avaient beaucoup réfléchi pour donner ce nom à leur village. Ils voulaient par-là que leurs peuples, quel que soit ce qu’ils auront à faire, le fassent lentement et sûrement et qu’en tout temps ils soient disposés à guider l’homme à mieux vivre».]

Du point de vue sociolinguistique et anthropologique, les mots «a-tsaŋ et n-tsaŋ» ne sont pas en distribution libre, c’est-à-dire qu’ils désignent deux réalités totalement différentes. En linguistique africaine, les morphèmes dérivationnels jouent un rôle distinctif dans la formation des nouveaux morphèmes. Selon cette approche, les morphèmes «a» et «n» antéposés au radical «-tsaŋ» constituent une preuve irréfutable qui milite en faveur de la distinction nette entre ces deux mots. Ceci reviendrait à dire qu’on ne saurait sous aucun prétexte confondre «a-tsaŋ et n-tsaŋ» qui désignent respectivement le nom d’une localité et la mésentente ou querelle. Il faut signaler qu’avant l’arrivée des Allemands à Dschang vers les années 1903, le village Foréké-Dschang qui abrite actuellement une bonne partie de la ville de Dschang était déjà une communauté bien hiérarchisée à la tête de laquelle trônait le 6e monarque au nom de Fo Ndon-Mbu (mort en 1925). Cette petite mise au point voudrait tout simplement signifier que le nom «atsaŋ» n’est pas né de l’arrivée des Allemands à Dschang en 1904, mais dérive du groupement Foréké-Dschang «atsaŋ folikhʉ’» qui fut administré depuis des siècles avant l’arrivée des Allemands.

Conclusion:

De ces opinions antithétiques, il ressort que le terme «atsaŋ» qui a été au centre de la polémique avait une coloration polysémique dont l’interprétation dépendait selon les tenants respectifs, du but à atteindre. Ainsi, le fait de le supplanter par le Yémba en 1983 fut une décision unificatrice acceptée de tous les membres de la communauté, car Yémba signifie tout simplement «je dis que» sans aucune coloration politique. Les parlers scientifiquement attestés par la méthode dialectométrique qui font partie de la langue Yémba avec un taux moyen d’intercompréhension de 82,64% sont les suivantes : bafou, baleveng, baloum, bamendou, fokoué, fombap, fondonera, fongo-ndeng, fongo-tongo, fontsa-touala, foreké-dschang, fossong-eleleng, fossong-wentcheng, fotemena, foto, fotsétsa’, mmok. (Nanfah, Gaston 2003: 14).

[1][1] Cette information a été officialisée par le professeur Maurice Tadadjeu en juin 1998 lors de la soutenance du Mémoire de ma Maîtrise « Analyste contrastive de certains parlers Yémba: Approche dialectométrique» à l’Université de Yaoundé I.

[2][2] Il faut signaler que Jean Pierre Fogui avait défendu ce point de vue dans plusieurs conférences, dont celle du mois de mai 1996, organisée par la JESCOBA (Jeunesse Estudiantine et Scolaire Bafou) à l’école départementale de Mélen à Yaoundé.

(Visited 142 times, 1 visits today)